Rencontre avec Pascaline Lepeltier 

PASCALINE LEPELTIER

À Chambers, nous cultivons la cuisine de marché, que l’on accorde avec près de 4000 références de vin. Nous avons très peu de stock et à chaque nouveau plat, l’idée est de proposer un nouveau vin au verre. C’est la colonne vertébrale du restaurant, de composer avec le vivant, les saisons et les humeurs. C’est pour se faire surprendre que les gens viennent et reviennent.

PASCALINE LEPELTIER

Je cherche à travailler de plus en plus avec des sakés, des boissons fermentées à base de riz, des cidres, et des co-fermentations. Mais il faut comprendre que tout le monde n’est pas tout à fait prêt à s’aventurer à tout, même à New-York, la ville de tous les possibles et de toutes les créativités. On ne s’interdit rien, c’est notre vision de la restauration et celle que l'on essaie de soutenir avec les petits producteurs, afin de décarboner tant que faire se peut nos modes de consommation. On peut ouvrir un monde gustatif gigantesque pour les new-yorkais qui sont un beau public de joueurs ! Cette semaine, je me suis par exemple amusée à faire découvrir des pépites : une macération de chenin de Didier Chaffardon (ndlr : un vigneron en Anjou, Coteaux de l’Aubance) et un pinot noir aérien de Raphaëlle Guyot (ndlr : une vigneronne près de Vézelay en Bourgogne). 

PASCALINE LEPELTIER

Les domaines qui rentrent à la carte sont des acteurs au plus proches du vivant et j’ai tendance à pousser les vins au cas par cas. On essaie en tous les cas de comprendre l’économie du domaine, son histoire, son approche du vivant… On soutient les producteurs dans leur projet global, tout en considérant la difficulté de faire du vin aujourd’hui dans ces périodes de réchauffement climatique. Ce qui ne m’empêche pas de m’extasier aussi devant des grands maitres, qui œuvrent chaque jour vers leur ouverture au vivant, comme le Domaine Chandon de Briailles qui m’a laissée des empreintes émotionnelles très fortes.

PASCALINE LEPELTIER

Dans notre champ d’action, il faut rester factuel le plus possible, rationnel, et ne pas donner son opinion parce que ça n’a pas de valeur. Le livre m’a beaucoup aidé à poser une expertise que l'on essayait de me tronquer auparavant, ou lorsqu’on essayait de me cantonner aux uniques valeurs nature et féministe, alors que mon travail, c’est le vin dans son ensemble. Je souhaitais ainsi apporter ma pierre à l’édifice en toute intégrité intellectuelle pour débouter de nombreux préjugés sur la dégustation. On oublie généralement la généalogie de la dégustation et qui décide de l’expertise. Les travaux croisés des historiens et chercheurs Thibaut Boulay, Olivier Jacquet et Gabriel Lepousez (qui plaide pour une nouvelle dégustation multisensorielle) m’ont amené à dire qu’il y a une historicité derrière les grilles de qualité, il y a des gens, des intérêts... Il faut regarder comment ça a évolué au cours du temps ! Par exemple, on a largement oublié que les Grecs dégustaient uniquement dans une perspective médicale, puis la dégustation est devenue un enjeu commercial et politique. Déconstruire tout cela est donc vital pour le bienfait du vin lui-même.

PASCALINE LEPELTIER

Les alternatives de dégustation commencent à pointer leur nez, par exemple, la dégustation géosensorielle initiée par Jacky Rigaux (ndlr : auteur spécialiste de la dégustation et des terroirs viticoles). Tout ce qui est énergétique peut être pertinent pour initier à la découverte des terroirs. Mais, globalement, la dégustation doit ressembler à une chose : est-ce qu’on est capable d’identifier nous, animal sapiens, ce qu’est un vin vivant, et s’il est bon. C’est là l’enjeu majeur de la dégustation future.

PASCALINE LEPELTIER

Le grand pouvoir du vin, ce sont ses qualités émotionnelles, transcendantales, transculturelles et transgenres. Il faut créer ces environnements de dégustations et ces nouveaux possibles. Surtout, savoir comment les exprimer, savoir comment s’extasier devant un grand champagne d’Olivier Horiot ou d’un Carignan d’Alain Castex à Banyuls. Le langage a le pouvoir d’influencer la façon dont on goute, donc il faut aider à décrypter, toujours et encore.